Le livre scientifique. Définition et émergence d'un genre (1450-1850)

Concepts et enjeux du livre scientifique

La constitution du savoir scientifique et son histoire ont donné lieu depuis quelques années à une expansion des recherches, généralement par disciplines et par périodes : la science de la Renaissance, à la fois en continuité et en rupture par rapport au monde médiéval, celle de l’époque classique et l’importance du XVIIIe siècle dans la constitution de la science moderne sont autant d’étapes dans la transformation des enjeux de la science, de sa définition et ses contours. La question de la vulgarisation des savoirs ou celle des modalités de sa transmission font partie également des réflexions des chercheurs qui s’intéressent à l’histoire intellectuelle (Blair, Jeanneret, Raichwarg et Jacques). L’enjeu épistémologique fait l’objet de travaux importants, mais le livre scientifique, en tant que support privilégié de la science, n’est souvent défini que partiellement. Il n’a intéressé qu’en relation avec un type de savoir dont le statut scientifique n’a jamais véritablement varié, comme c’est le cas pour la médecine ou les mathématiques(Lay, Base Dionis) et donne lieu à des recensements ou des études de son aspect matériel (Martin). Il est aussi le support d’études sur l’iconographie et l’évolution de l’illustration, où est souligné l’apport de l’imprimerie, en particulier dans une unification des représentations du monde naturel (Martin, Pinon). Or, si la réalité de l’objet-livre paraît évidente, son émergence et sa constitution en tant qu’objet spécifique de la production éditoriale et intellectuelle, son enjeu culturel et épistémologique ainsi que ses modalités propres paraissent moins clairement définis, surtout pour les disciplines dont la place dans la classification des savoirs a pu se modifier, comme la physique ou les sciences de la vie et de la terre. Par ailleurs il invite à la confrontation interdisciplinaire puisque la catégorisation des domaines intellectuels et de la connaissance, le support (manuscrit ou imprimé, avec ou sans illustrations), mais aussi une réflexion sur la langue et le genre de texte interviennent dans sa conception. Il est donc à la frontière de plusieurs domaines intellectuels et fait converger les disciplines. Si l’objet a une évidence matérielle, sa conception et sa définition sont plus complexes, du fait des enjeux intellectuels, culturels et éditoriaux qui sont ainsi posés.


L’histoire du livre scientifique reste donc à compléter dans les siècles qui précèdent l’éclosion de la science moderne, du XVe au XIXe siècle, les études menées jusque là étant généralement limitées soit à une période, soit à une discipline. La définition même de l’écrit scientifique est à préciser, surtout pour les périodes anciennes où la notion de science ne recouvre pas le même champ. La difficulté de la délimitation se mesure dans les fonds anciens des bibliothèques et des archives où le catalogage peut être parfois ancien, dispersé ou incomplet et faire disparaître la spécificité de certains fonds. Il a donc paru nécessaire de croiser des approches différentes, - historiens et philosophes des sciences, littéraires, philologues, linguistes, historiens du livre et spécialistes de la représentation- et de les appliquer à des fonds anciens d’imprimés, sans s’interdire les manuscrits, pour élaborer une histoire du concept du livre scientifique. Elle doit être accompagnée d’une base de données qui ne soit pas centrée sur une discipline, mais sur l’évolution du livre scientifique en tant qu’enjeu épistémologique.

 

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